mardi 29 juin 2010

Le centre commercial (ou l'histoire d'un meurtrier)

Une histoire violente, moderne, pop et cynique. Une histoire d'amour et un portrait des dérives de la société consumériste en dix pistes et trente minutes par Bertrand Louis.

dimanche 20 juin 2010

Mauvais lieux



Soho, bidon, ai-je dit. Sûr. J'ai hésité à en parler dans ce guide, mais peut-on écrire sur Paris sans parler de Pigalle, sur New York sans Broadway?
Soho, bidon. S'il ne tenait qu'à moi, on diffuserait à grande puissance dans Hyde Park des enregistrements des billets de banque froissés et de shillings entrechoqués. Toute la foule de Soho y courrait. On pourrait l'enfermer là, comme les Indiens dans leur réserve, et le jeudi, on y emmènerait les enfants pour leur montrer ce que le profit capitaliste a fait d'êtres incapables de ramasser l'argent dans la banque ou l'industrie et qui ont choisi de devenir marchands de fesses.
Soho serait alors livré au plaisir désaliéné. On viendrait y faire l'amour librement sur les épais tapis des salles de jeu et des clubs de strip-tease désaffectés, et les corps entremêlés se refléteraient, diffractés par les mille éclats des lustres de cristal. On viendrait y fumer son stick, son joint de marihuana, mollement allongé sur les banquettes en peau de panthère des Rolls abandonnées le long des trottoirs de Greek Street. De temps en temps, on irait travailler, c'est-à-dire brûler quelques coffres de la Bank of England. Rêve.
Mais alors Soho ne serait plus un mauvais lieu. Ce serait un lieu culturel qui aurait résolu la contradiction analysée par Wilhelm Reich :  « Une réflexion révolutionnaire sur la culture ne peut pas accepter et défendre l'actuelle culture. Elle ne peut accepter ni la morale contraignante autoritaire ni la répression instinctuelle. Elle doit résoudre la contradiction entre Nature et Culture, Instinct et Morale et réaliser l'unité de ces deux domaines. Il faut au préalable qu'elle apprenne à distinguer ce qui est revendication vitale naturelle de ce qui est pulsion hostile à la société, instinct asocial engendré par la morale. La question culturelle ne peut pas être résolue si l'on ne conçoit pas son noyau, le mode de vie sexuel des hommes, rationnellement et en affirmant son principe : le plaisir. »


Bien sûr, Les mauvais lieux de Londres n'est pas un simple guide touristique. Plutôt une immersion hallucinée dans la capitale anglaise à la fin des années 60  sous l'œil de Jean-Louis Brau (un des fondateurs de l'internationale lettriste). Journalisme à la Thompson, réflexions situ, citations de Marx et Engels, prostituées, hippies, lumpenprolétariat, petits voyous, ... , vous y découvrirez d'incroyables mauvais lieux. Mauvais, évidemment par opposition à la «bonne» société. Le tenancier du blogue «Au Carrefour étrange» en a déjà très bien parlé. (*)

mercredi 9 juin 2010

Lecture contemporaine

«Écoute-moi. Je vais te raconter une anecdote. Un jour, je me trouvais dans une bibliothèque, une grande et merveilleuse bibliothèque. Plus exactement, dans la salle de lecture. Les rayons étaient remplis de volumes magnifiquement reliés. Un type déambulait. Il s'est arrêté devant l'un des rayons, il a sorti un volume.. Le livre avait une reliure de cuir marron, gravée d'or. Il y avait aussi, sur la couverture des lanières de cuir foncé piquées, reproduisant un motif très compliqué. C'était vraiment un très bel objet à regarder. Et sûrement très agréable à toucher, car le cuir épais était aussi très agréable à toucher, car le cuir épais était aussi très souple. Donc, le type était là, tenant le livre dans ses mains. Visiblement sa vue lui procurait du plaisir. Puis il l'a tenu très serré et il l'a plié, en avant et en arrière. Ensuite, il l'a posé contre son visage et a sent l'odeur du cuir. Enfin, il a mis le bord du livre dans sa bouche, et on aurait pu croire qu'il le mordait, qu'il le dégustait, qu'il le mâchait... Je ne sais pas s'il aurait fini par en détacher un morceau et s'il l'aurait avalé... Il a dû se retourner et s'apercevoir que je l'observais. Il a reposé le livre et il est sorti rapidement de la salle. Je me suis dirigé vers le rayon où il s'était arrêté, et j'ai pris le livre à mon tour. J'ai soulevé la couverture. C'était un recueil de poèmes d'un auteur élizabéthain peu connu. Je me suis assis à la table et, quelques heures plus tard, j'ai rangé le livre dans son rayon. Ces poèmes était magiques. Cette poésie était divine, authentique. Et ce tupe avait contemplé la reliure en cuir et les incrustations dorées. Il avait pris le cuir dans ses mains, l'avait tordu, l'avait senti. l l'avait goûté et mâché.
-Pourquoi me racontez-vous ça? demanda Barry.
-Cet homme est un symbole de l'humanité contemporaine qui pourvoit aux plaisirs des sens et de la chair, et méprise les horizons infinis de la pensée. Elle ignore tout des pouvoirs de la pensée, de l'esprit, ou de l'âme, enfin peu importe le nom qu'on donne à ça. Bref, l'espèce humaine méconnaît cet aspect, et, à la place, tâtonne, se tortille et hurle dans un combat sans fin pour assouvir ses désirs. Il arrive obligatoirement un moment où cette quête dépasse les bornes, où l'on estime ne plus avoir de justifications à fournir. C'est alors que le Mal apparaît.»

David Goodis, La garce, Le livre de poche.

Peut être est-ce après avoir lu ce passage que son éditeur a pensé bon d'offrir une couverture aussi laide pour son livre. Peut être que si David Goodis avait su quel sort on réservait au livre, n'aurait-il pas écrit se passage, qui sait. Ce rapport au sens qui disparaît lorsqu'on s'adonne à la lecture électronique (oui, ça sonne faux n'est-ce pas?).  Un bon argumentaire pour tous les vendeurs d'e-book après tout. Ce rapport très particuliers entre le sens et l'esprit, l'objet et ce que l'écriture nous dit, précisément une certaine vision de lecture, à l'opposé de ceux qui pensent uniquement l'esprit, et les autres, qui ne pensent qu'à l'objet. Nos rapports aux livres semblent en dire beaucoup sur notre conception du monde.

mercredi 2 juin 2010

Physiologie des lunettes noires


«Rue du Petit-Pont il y avait un colonel qui avait fait la guerre d'Espagne, il avait occupé une épicerie fine, s'était fait une tronche d'enfer...» (Doisneau, interview à Libération, 25 août 1984)

Doisneau 40/44 (texte de Pascal Ory), hoëbeke

mardi 1 juin 2010

Salut Ponchon !

Je pense avoir déjà fait l'éloge de Jean Richepin, et de La chanson des gueux. J'y reviens une dernière fois, après avoir découvert un magnifique blogue consacré à Raoul Ponchon (*) dont on vous conseillera particulièrement les portraits(*) et aphorismes(*).
Dans La chanson des gueux, la partie Gueux de Paris est dédiée à Raoul Ponchon. On y retrouve entre autre ceci.

A RAOUL PONCHON

Les gens soubmis à Sol, comme buveurs, enlumineurs de museaulx, ventres à poulaine, gueux de l'hostière, gagne-deniers, dégraisseurs de bonnets, embourqueurs de bas, loqueteurs, claque-dents, croquelardons, généralement tous portant la chemise nouée sur le dos, seront sains et allègres, et n'auront la goutte ès dent quand il seront de nopces.

(Rabelais - Pantagruéline pronostication certaine, véritable et infaillible pour l'an perpétuel, naturellement composée au profict et advisement des gens étourdis et musarts par nature.)




Tu sens le vin, ô pâte exquise sans levain.
Salut Ponchon ! Salut, trogne, crinière, ventre !
Ta bouche dans le foin de ta barbe, est un antre
Où gloussent les chansons de la bière et du vin.

Aux roses de ton nez jamais l'hiver ne vint.
Tu bouffes comme un ogre, et pintes comme un chantre.
Tous les péchés gourmands ont ton nombril pour centre.
Dans Paris, ce grand bois, tu vis tel qu'un sylvain ;

Sachant tous les sentiers, mais fuyant les fontaines,
Flairant les carrefours, les ruelles lointaines,
Où les bons mastroquets versent le bleu pivois.

Et j'aime ton plastron d'habit bardé de taches,
Ton pif rond, tes petits yeux fins, ta chaude voix,
Et l'odeur de boisson qui fume à tes moustaches.

-illustration par Ricardo Florès, La chansons des gueux -