jeudi 3 janvier 2013

Anna Karina vous souhaite la bonne année (3)


Réveil brutal


«  Je ne suis pas de votre race. Je suis du clan mongol qui apporta une vérité monstrueuse : l'authenticité de la vie, la connaissance du rythme, et qui ravagera toujours vos maisons statiques du temps et de l'espace, localisées en une série de petites cases. Mon étalon est plus sauvage que vos engrenages poussifs, son sabot de corne plus dangereux que vos roues de fer. Entourez-moi des cent mille baïonnettes de la lumière occidentale, car malheur à vous si je sors du noir de ma caverne et si je me mets à chasser vos bruits. Que sur mes berges vos pontonniers ne réveillent jamais mon tympan endolori, car je ferais siffler sur vous le vent incurvé comme un cimeterre. Je suis impassible comme un tyran. Mes yeux sont deux tambours. Tremblez si je sors de vos murs comme de la tente d'Attila, masqué, effroyablement agrandi, revêtu de la seule cagoule, comme mes compagnons du bagne à l'heure de la promenade, et si avec mes mains d'étrangleur, mes mains rougies par le froid, je force le ventre aigrelet de votre civilisation!»

Blaise Cendrars, Moravagine 

Alain tanner : vif


Au cimetière joyeux (8)

«  Le 30 septembre 1901, j'attendais Moravagine à deux cents mètres de l'enceinte du parc, dans un chemin de traverse, sous bois. Quelques jours auparavant, j'étais allé louer une automobile de grand tourisme à Colmar. J'avais remis à Moravagine tout ce dont il avait besoin pour s'évader. Il devait sauter le mur à midi sonnant. Il était légèrement en retard. Je commençais à m'impatienter, quand j'entends un grand cri et je vois mon animal accourir un couteau sanglant à la main. Je le fais vivement monter en voiture et nous démarrons. Il se penche à mon oreille :
- Je l'ai eue!
- Quoi, quoi?
- La petite fille qui ramassait du bois mort au pied du mur.
   Ceci fut le commencement d'une randonnée qui devait durer plus de dix ans à travers tous les pays du globe. Moravagine laissait partout un ou plusieurs cadavres féminins derrière lui. Souvent par pure facétie.»

Blaise Cendrars, Moravagine

Anna Karina vous souhaite la bonne année (2)

Au cimetière joyeux (7)

«La concierge se tenait dans sa loge, comme en pétinence, là où le couloir à ciel ouvert devenait une espèce de cour tout en longueur. M. Jules Rabastens? Oui, il demeurait ici. Il était chez lui? Oui, il y était.

Il y était et lorsque je le vis, le souvenir d'une phrase prononcée par le jeune homme s'imposa à ma mémoire : «...Si des fois vous mettiez le pied sur un cadavre, faites-moi signe...» Eh bien, il était là le macchabée souhaité par le jovial rouquin. Seulement, Rabastens ne tartinerait rien sur lui. Si loin qu'un journaliste pousse la conscience professionnelle, je n'en connaissais pas encore de suffisamment fortiches pour pondre des articles sur leur propre décès.»

Léo Malet, Corrida aux Champs-Elysées

Anna Karina vous souhaite la bonne année (1)