vendredi 28 mai 2010

Vive l'immoralité !

Les pages suivantes sont tirés de la Préface de La chanson des gueux, de Jean Richepin, publié chez Arthème Fayard et Cie, éditeurs. Jean Richepin réfute sa culpabilité, nous parle de sa littérature et de moralité.



«Mon livre n'a point de feuille de vigne, et je m'en flatte. Tel quel, avec ses violences, ses impudeurs, son cynisme, il me parait autrement moral que certains ouvrages, approuvés cependant par le bon goût, patronnés même par la vertu bourgeoise, mais où le libertinage passe sa tête de serpent tentateur entre les périodes fleuries, où l'odeur mondaine du Lubin se marie à des relents de marée, où la poudre de riz qu'on vous jette aux yeux a le montant pigmenté du diablotin, romans d'une corruption raffinée, d'une pourriture élégante, qui cachent des moxas vésicants sous leur style tempéré aux fadeurs de cataplasme. La voilà, la littérature immorale ! C'est cette belle et honneste dame fardée, maquillée, avec un livre de messe à la main, et dans ce livre des photographies obscènes, baissant les yeux pour les mieux faire en coulisse, serrant pudiquement les jambes pour jouer plus allégrement de la croupe, et portant au coin de la lèvre, en guide de mouche, une mouche cantharide. Mais morbleu ! ce n'est pas la mienne, cette littérature ! »


«Je dirais même plus : j'aime mes héros, mes pauvres gueux lamentables, et lamentables à tous les points de vus; car ce n'est pas seulement leur costume, et c'est aussi leur conscience qui est en loques. Je les aime, non a cause de cela, mais parce que j'ai compris cela, parce que j'ai arrêté mes regards sur leur misère, fourré mes doigts dans leurs plaies, essuyé leurs pleurs sur leurs barbes sales, mangé de leur pain amer, bu de leur vin qui soûle, et que j'ai, sinon excusé, du moins expliqué leur manière étrange de résoudre le problème du combat de la vie, leur existence de raccroc sur les marges de la société, et aussi leur besoin d'oubli, d'ivresse, de joie, et ces oublis de tout, ces ivresses épouvantables, cette joie que nous trouvons grossière, crapuleuse, et qui est la joie pourtant, la belle joie au rire épanoui, aux yeux trempés, au cœur ouvert, la joie jeune et humaine, comme le soleil est toujours le soleil, même sur les flaques de boue, même sur les caillots de sang.»


Désolé pour la qualité du scan.

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